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Quai des enfers

   
Auteur : Ingrid Astier
Editeur : Gallimard, collection « Série noire »
Date de dépôt : décembre 2009

Le parfum, la gastronomie et la littérature sont trois des passions d’Ingrid Astier. Normalienne, agrégée de lettres, elle a enseigné à l’université Paris VII et est l’auteur au Mercure de France de livres comme « Le goût du chocolat » (2007), « Le goût du thé » (2007), « Le goût des parfums » (2009), mais aussi de « Cuisine inspirée, l’audace française » (Agnès Vienot, 2007) ou encore de « L'amour » (2007), coécrit avec Bruno Verjus, dans la célèbre collection « Dix façons de les préparer » des éditions de l’Epure. Avec « Quai des enfers », elle se lance pour la première fois dans le polar. C’est un coup d’essai réussi. Son style a la faculté de donner de la densité et du corps aux personnages ainsi qu’une vérité aux lieux et scènes jusqu’au cœur d’une salle d’autopsie. Car il s’agit bien d’une histoire de meurtres dont le premier est découvert dans une barque accostée sous les fenêtres du célèbre « 36, quai des Orfèvres » le 18 décembre 2008 avec à son bord le corps, enroulé dans un drap blanc, d’une très belle jeune femme à l’épaisse chevelure de soie noire. Cette mise en scène aux accents artistico-morbides va entraîner plusieurs personnages sur diverses pistes au fil de la Seine. Les ambiances décrites plongent au cœur d’un Paris marqué par des années d’histoire, avec ses quartiers, ses monuments, ses rues, ses anciennes bâtisses, dans une intrigue se déroulant dans le monde artistique, de la mode et du parfum. Dans l’écriture d’Ingrid Astier, parfum et gastronomie occupent naturellement une place de choix. Ainsi, au fil des scènes, outre une inventive blanquette à la vanille de Tahiti, planent des odeurs de croissants, de hachis Parmentier, une haleine caféinée, une odeur grasse de pizza ou encore des pierres qui sentent l’histoire, voire une femme embaumant le printemps… Des effluves sont décomposés comme celui du Vicks VapoRub aux parfums de thym, camphre et eucalyptus ou de manière plus noble celui de l’illustre « Chanel n° 5 » aux « notes élégantes et familières » de rose et de jasmin. Les personnages sont également passés au crible. Sont révélés leurs surnoms et leurs goûts, manière d’apprécier leur univers, leur sensibilité, leurs failles. Indispensable compagne de l’auteur dans ces séances d’écriture, la musique écoutée est aussi très présente au fil du récit, de Frédéric Chopin à Motörhead en passant par György Ligeti, Keith Jarrett ou Abba. Grâce à ces descriptions sensuelles et à ces mots, le lecteur pénètre dans l’intimité des protagonistes : un plongeur de la brigade fluviale amateur de livres, un parfumeur réputé travaillant sur la reconstitution historique du parfum d’Elisabeth Ire, un journaliste du « Monde » qui catalogue les crimes suivant un code de couleurs, une légiste dont la carapace n’est pas aussi insensible qu’elle le paraît, des policiers de la brigade criminelle partagés entre vie professionnelle et personnelle, mais aussi un personnage tout aussi présent et primordial, la « grande Dame », à savoir la Seine. Ingrid Astier qui vit face à celle-ci, décrit la vie séquanaise avec son cadre et ses acteurs, la brigade fluviale, les pêcheurs, les SDF, les vedettes, les prostituées…

Si ce roman noir est référencé au sein de ce site Internet, c’est que la rose y occupe une place de choix. D’ailleurs, Ingrid Astier est l’auteur du livre « Le goût de la rose » (Mercure de France, 2008), mais aussi une des fans du rosiériste André Eve à qui elle rend une sorte d’hommage au travers du rosier liane ‘Minnehaha’ qu’elle imagine poussant sur le tronc d’un tilleul mort dans la cour de l’Institut médico-légal. La reine des fleurs est donc très présente que ce soit au sein de la toile « Les roses d’Heliogabale » (1888) de Sir Lawrence Alma-Tameda ou bien encore devenant un signal de menace quand, rouge sombre presque noire, elle est déposée tailladée aux ciseaux chaque matin sur un paillasson. Quant à ses pétales, ils peuvent se métamorphoser en arme. Les arbres, que l’auteur considère comme ses totems, sont aussi à l’honneur dans ce livre, à l’instar des peupliers blancs (Populus alba pyramidalis) près de la passerelle des Arts, qui ont une place particulière dans cette histoire, symbolisant un amour à fleur de peau. Quant aux jardin, ils occupent un rôle à part entière au fil des enquêtes sur les traces du « tueur de la Seine ». Ainsi, le lac inférieur du bois de Boulogne* est une piste pour retrouver la provenance de la barque du premier cadavre et le parc Montsouris* renfermerait sous un de ses parterres un coin à morilles ! Quant au jardin Tino Rossi*, « curieux assemblage de mornes plates-bandes et d’incompréhensibles statues », son splendide saule pleureur attire la faveur des chiens. Le parc des Impressionnistes à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) compte aussi parmi les lieux du décor de cette histoire de meurtres en série, sans oublier le square du Vert Galant (Paris) au cœur d’une chanson :

« Paris est la ville des ponts

Moi l’homme d’un seul amour

Au square du Vert Galant !

Au square du Vert Galant

La Seine a deux amants

Justice et Police

Pour veiller tous nos, tous nos vices

Qui m’aurait dit pourtant


Qui m’aurait dit pourtant

Qu’un jour, ils sonderaient


Mon amour… »

La musique, y compris celle des mots, accompagne le lecteur au fil des chapitres, rendant vivant ce roman policer agréable à lire et vivant avec une intrigue sur laquelle il se laisse voguer au sein de cette Seine de crimes, aux parfums de meurtres.

Pour ce roman, Ingrid Astier a reçu le prix Prix Paul Féval de littérature populaire 2010, remis par la Société des Gens De Lettres.

* Plus d’informations

Pour en savoir davantage sur les jardins cités dans cette notice, il suffit d’un simple clic sur les liens suivants :

Bois de Boulogne

Parc Montsouris

Jardin Tino Rossi



© Conservatoire des Jardins et Paysages / avril 2010

 
416 pages - 17.00 €
     
   
   
   
 
   
 
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